Limites du droit d'auteur : l'exception de courte citation

Le droit de la propriété intellectuelle confère à l'auteur un certain nombre de droits. Toutefois, dans certains cas, ces droits sont limités.

2/23/20233 min read

EXISTE T'IL DES EXCEPTIONS AUX DROITS D'UN AUTEUR ?

Les créateurs ont en général bien en tête les différents droits que le code de la propriété intellectuelle confère aux auteurs sur leur(s) oeuvre(s).

Pour rappel, ces droits sont scindés en deux catégories :

  • les droits moraux : droit au respect du nom, de la qualité de l'auteur, et respect de l'oeuvre ;

  • les droits patrimoniaux : droit pour l'auteur d'autoriser ou non la représentation et/ou la reproduction de son oeuvre.

Cependant, il est des situations qui font échec à la mise en oeuvre de ces droits. Ces situations sont toutes envisagées, sous forme énumérative, à l'article L.122-5, 3°) du code de la propriété intellectuelle ( lien vers l'intégralité du texte : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043975029?init=true&page=1&query=L.122-5+code+de+la+propri%C3%A9t%C3%A9+intellectuelle&searchField=ALL&tab_selection=all ).

L'EXCEPTION DE COURTE CITATION

Parmi ces exceptions, figure celle dite de la "courte citation". En vertu de cette exception, et sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source, l'auteur ne peut interdire "les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées".

En des termes moins juridiques, cela signifie que chacun peut citer un court élément d'une oeuvre, à deux conditions :

  • que le nom de l'auteur et la source soient clairement indiqués,

  • que cette citation soit justitfiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de la nouvelle oeuvre dans laquelle ces éléments sont incorporés.

Par ailleurs, une autre condition est que la partie reprise de l'oeuvre citée doit être "courte" : il s'agit d'une notion casuistique, dont l'ordre de grandeur peut varier selon plusieurs paramètres, et notamment la nature de l'oeuvre (musicale, textuelle, picturale, etc.).

UNE ILLUSTRATION JURISPRUDENTIELLE RECENTE : L'ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION DU 8 FEVRIER 2023

À titre d'illustration, la Cour de Cassation s'est récemment prononcée en faveur de l'application de cette exception. L'affaire opposait une société de production musicale, et une maison d'édition littéraire. Celle-ci a fait paraitre un ouvrage portant sur l'oeuvre musicale d'un artiste, et y citait des extraits de paroles de chansons.

La société de production musicale détenant les droits patrimoniaux sur l'oeuvre de l'artiste en question a estimé qu'il s'agissait là d'une violation des droits d'auteurs, et l'affaire a été portée devant les tribunaux, pour terminer devant notre Haute juridiction : la Cour de Cassation.

La juridiction a ainsi validé le raisonnement de la cour d'appel et tranché en faveur de l'exception de courte-citation : "en retenant que la société Librairie Arthème Fayard avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d'elles était nécessaire à l'analyse critique de la chanson à laquelle se livrait M. [M], permettant au lecteur de comprendre le sens de l'oeuvre évoquée et l'engagement de l'artiste, et que ces citations ne s'inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d'information de l'ouvrage qui, richement documenté, s'attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [P] [Y], la cour d'appel, appréciant elle-même, par une décision motivée, les justifications apportées aux citations litigieuses, a pu accueillir l'exception de courte citation." (https://www.courdecassation.fr/decision/63e34ca8500dc805de37cd7b)

Cet exposé des motivations nous permet de dégager les questions que l'on doit se poser lorsque l'on projette de créer une oeuvre nouvelle en citant certains passages d'une oeuvre préexistante.

AUTRE POINT INTERESSANT DE L'ARRÊT EN MATIERE D'ATTEINTE AU DROIT MORAL

Un autre point intéressant soulevé au cours de cette affaire serait l'argument d'atteinte au droit moral de l'auteur par la séparation du texte et de la musique . La société de production musicale a en effet fait grief à l'ouvrage attaqué de porter atteinte au droit moral de l'auteur en ce qu'il ne reproduisait que les paroles des chansons, alors que dans une oeuvre musicale, les paroles et la musique seraient indissociables. Une telle dissociation serait de nature à porter atteinte à l'intégrité de l'oeuvre (L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle, qui énonce les prérogatives liées au droit moral de l'auteur).

La Cour a rejeté cet argument en confirmant le raisonnement de la Cour d'appel, selon lequel "le texte et la musique d'une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l'auteur"